Les portraits à travers les idées
Baudelaire met en place une dialectique, qui peut-être comparée, à l'instar de Walter Benjamin, au travail d’un chiffonnier-alchimiste. L'artiste récupère les rebuts de la vie moderne, tel un chiffonnier, et les transforme dans l’alambic de son imagination, tel un alchimiste, en un art moderne. Cette théorie est particulièrement pertinente pour l'étude de l’art d’Edouard Manet. A ces éléments théoriques viennent s’ajouter quelques anecdotes pittoresques.
Zola entre en littérature par la voie du journalisme et rédige des chroniques artistiques : elles donnent lieu aux recueils de Mes Haines et Mon Salon. Il y défend un art moderne, Édouard Manet en particulier, à contre-courant des normes académiques de l'époque. Il est possible que Zola ait reconnu dans l'approche du peintre une similarité avec sa propre méthode : une description presque scientifique des faits observés, qu'il utilisait comme matière première pour ses romans.
Ce regroupement de fiches est le pendant littéraire du panier thématiquement Peinture réaliste, l’illusion de la transparence de la collection des Incontournables. Afin de garantir une neutralité maximale, les auteurs de cette génération tentèrent l’absence, la non-intervention ; comme si la structure narrative, les caractères et leurs destins étaient régis par une logique implacable et externe, plutôt que par la fantaisie imaginative de leurs créateurs.
Seurat, connu pour son goût du secret, est surnommé « le notaire » par Degas, probablement en raison de sa grande méticulosité. Issu d'un milieu aisé et libéré en conséquences des contraintes de vente, il peut se consacrer à ses recherches. Seurat s’offusque ainsi que Gauguin, connu pour emprunter les idées des autres, puisse pénétrer l’atelier de Signac ; la haine de Gauguin pour le divisionnisme remonte peut-être à cet épisode.
En 1886, l’inventeur du divisionnisme entre dans l’histoire moderniste en exposant Un dimanche après-midi à l'île de la Grande Jatte. Ne fait-il que rendre en image les joyeuses légèretés des promeneurs du dimanche ? Sa toile dissimule-t-elle un message politique ? Inversement, le sujet n'a-t-il aucune importance à ses yeux ? Seule la forme l'intéresse-t-elle ? Autant de points de vue contradictoires proposés par des historiens issus d’horizons intellectuels divers.
La vie d’un des pères de la modernité est truffée d’anecdotes qui viennent enrichir la compréhension de son art. Loin de l'image du rapin bohème dépeinte par la critique et le public – qui, au demeurant, le confondaient parfois avec son quasi-homonyme Claude Monet –, il incarnait en réalité un bourgeois gentleman républicain, prêt à défendre en duel son honneur ou celui de sa belle-sœur.
Jamais pourtant il ne participa aux expositions fondatrices du mouvement impressionniste. Son style est à la fois dans la lignée des grands maîtres et révolutionnaire, ayant développé une forme de réalisme, défendu par un jeune inconnu nommé Émile Zola, qui rompait avec la tradition tout en lui rendant hommage. L’histoire de la souscription d’Olympia et son entrée tardive au Louvre rappelle à quel point son officialisation fut un processus long et douloureux.
Degas, membre fondateur des expositions impressionnistes défendait une politique de recrutement inclusive, intégrant des peintres plus conventionnels. Il était lui-même un grand dessinateur dans la lignée du maître de la ligne, Jean-Dominique Ingres, et avait suivi une formation académique en Italie dans la tradition des maîtres de la Renaissance. Pire pour l'idée que l’on se fait du peintre impressionniste, il n'hésite pas à exprimer sa haine de la peinture en plein air.
Né dans un milieu provincial et bourgeois, son mode de vie ne satisfait pas aux ambitions que son père entretient pour lui. De là la tentative de suicide de Claude et des finances difficiles. Le vent finit par tourner quand, enfin marié avec la bénédiction paternelle et exilé à Londres, il rencontre son futur marchand, Paul Durand Ruel, prêt à soutenir ce peintre qui aime peindre en plein-air, au grand damne de son aîné Gustave Courbet.
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Courbet était un homme de nature généreuse, capable toutefois de mettre fin à une amitié pour peu que son art n’y trouve satisfaction. Et puis il y a les anecdotes truculentes : celle du cul des anges (dans ‘Pas vu, pas peint’), de l'arrière train de ses baigneuses cravachées par l'empereur, ou ces caricatures reconnaissables à ce contour de bon vivant : un ventre démesuré qui, à force de bière de vin et de bonne chère lui coûtera la vie.
Gustave Courbet a développé au fil des années un sens aigu de la valeur de son art. Il put ainsi gérer avec succès sa propre promotion commerciale, traiter d'égal à égal avec Bruyat son mécène ou Nieuwerkerke, l’intendant des beaux-arts de Napoléon III, ou encore ouvrir son propre salon en face des bâtiments de l’Exposition universelle ; il alla jusqu'à publiquement refuser la légion d’honneur. L'ego est démesuré et la caricature de s’en délecter.
Or si la caricature le dépeint en peintre ouvrier, sa main est bien celle d’un grand maître tandis que sa clientèle est huppée… finances obligent. Profondément opposé à toute obstruction de la part d'un jury qui entrave son lien avec le public, il choisit de gérer ses propres salons dès 1855 ; un sens de l’autopromotion qui encouragera Manet et les impressionnistes à assumer leur propre vitrine.
Ce choix politique, Courbet le paiera au prix fort. Le peintre est élu au 6ème arrondissement de Paris, organise la Fédération des artistes, et préside la Commission des monuments ayant pour mandat de protéger Paris et ses musées; d’où les caricatures. Enthousiaste et spontané, il avait encouragé au démantèlement de la colonne Vendôme et sera, après la victoire des Versaillais, jugé responsable de sa destruction ; infligé d’une amende colossale, il s’exile en Suisse.
Les nouvelles générations d’historiens aiment à déconstruire la figure mythique du génial artiste exilé et ensauvagé. L’homme se prêtait à l’exercice lui qui derrière une apparente ‘primitivisation’ gardait des habitudes de colon blanc ou de parisien. Mais les excès de déconstruction laissent oublier le fond de vrai sur ce peintre fantasque, aventurier, refusant de s’installer dans la bohème parisienne.
Sa mère témoignait déjà avant de mourir, du caractère asocial de son fils, un jeune homme, plutôt asocial près à jouer de ses poings. Il se brouilla successivement avec Pissarro, avec Seurat et les divisionnistes, avec son vieil ami Schuffenecker, avec son tuteur Arosa. Autant d’anecdotes qui enrichissent notre connaissance du personnage en marge des affabulations. Sa relation à Vincent van Gogh n’est pas abordée ici ayant donné lieu à la conférence Gauguin versus Van Gogh.
La présence de nombreux tableaux impressionnistes dans les collections muséales danoises peut surprendre. L’intuition de Gauguin en est à l’origine. Alors qu’il est encore employé à la Bourse de Paris et peintre-amateur, il achète de nombreux tableaux de Cézanne, Manet, Degas, Pissarro etc..Une fois déchu socialmement et ruiné, sa femme danoise qui a embarqué mobilier, enfants et collection pour Copenhague va progressivement monnayer ce trésor.
Bien avant Picasso ou l’ouverture des grands musées occidentaux aux arts premiers, Gauguin a pratiqué le détournement, s'était mis à l'école des arts premiers, pascuans, marquisiens, maoris et cambodgiens. Il copiait, modifiait, intégrait des motifs, des principes de compositions, adaptait ces éléments à la peinture, au dessin, à ses sculptures. Un siècle aura été nécessaire à l’identification et réévaluation de ces intégrations.















